Avec la révolution crypto à l’œuvre sur le globe, l’opinion publique s’est peu à peu habituée à voir apparaître dans son paysage les notions de cryptomonnaies, de NFT et plus généralement de blockchain.
Ces projets, issus d’initiatives individuelles et parfois portés par des grands noms de l’industrie numérique, sont ainsi largement associés au secteur privé qui s’est taillé la part du lion dans l’écosystème crypto.
Néanmoins, il serait faux d’affirmer que les pouvoirs publics et en premier lieu les États se désintéressent de ces questions. La première illustration de cet intérêt étant les nombreuses réglementations et limitations en vigueur, en cours de préparation ou prévisionnelles mises en place dans un grand nombre d’ensembles économiques et de pays. La seconde, et celle-ci est moins connue, revêt les atours d’un intérêt porté par la puissance publique sur un dérivé des cryptomonnaies : les Monnaies Numériques de Banque Centrale ou MNBC (Central Bank Digital Currency ou CBDC en anglais).
Qu’est-ce qu’une Monnaie numérique de Banque Centrale ?
La première et principale différence de la MNBC avec ses consœurs du monde cryptos, c’est son caractère centralisé. Contrairement au Bitcoin et à la vaste majorité des monnaies cryptos qui sont distribuées, les MNBC ne pourraient être émises que dans la blockchain des banques centrales. Celles-ci seraient donc émises via une blockchain dite privée ou permissionnée (permissionned) renforçant donc le caractère centralisateur de la devise et l’éloignant de ce fait de la définition classique des cryptomonnaies.
Autre différence majeure, à l’inverse des monnaies cryptos traditionnelles comme le Bitcoin ou l’Ethereum, la valeur des MNBC ne serait pas soumise aux fluctuations du marché et, contrairement aux stablecoins comme le Tether, la garantie de la valeur serait assurée par une banque centrale (autrement dit, directement par une institution financière étatique et non par un acteur privé).
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Deux catégories de MNBC sont en cours de développement : les MNBC de gros (wholesale) et de détail (retail). Les premières seront réservées aux établissements financiers comme les banques tandis que les secondes seront utilisées pour les particuliers pour leurs paiements quotidiens et pourraient éventuellement faire l’objet d’une rémunération basée sur des taux afin d’inciter l’ouverture d’un compte (en plafonnant les montants pour ne pas en faire un actif d’épargne ou d’investissement).
Pourquoi les Monnaies Numériques de Banque Centrale intéressent les États ?
- La première raison est tout simplement l’explosion du marché des cryptos dans le monde. En passant d’une base utilisateur estimée à 5 millions en 2016 à environ 400 millions en 2023, les États ne pouvaient plus passer à côté d’un phénomène d’une telle ampleur. À titre d’exemple, en 2022 une étude de KMPG pour l’ADAN estimait que 8% des Français possédaient des cryptomonnaies et que plus de 30% considéraient investir dedans dans le futur, une part non négligeable de la population en somme.
- Deuxième raison, les initiatives de grands groupes sur les cryptomonnaies – et en particulier les stablecoins – ont fortement inquiété les États. L’exemple le plus marquant reste à ce jour le projet Diem (ex-Libra) – désormais abandonné – lancé par Mark Zuckerberg PDG de Meta en 2019. Ce dernier dévoilait son ambitieux projet en ces termes :” Parce que nous sommes une entreprise qui a réussi et qui est suffisamment grande, nous sommes désormais capables de construire des systèmes sans précédent… plus sophistiqués que ce dont beaucoup de gouvernements disposent” ce qui avait entraîné une levée de boucliers sans précédent au sein des banques centrales et dans de nombreux gouvernements. Bruno Le Maire avait alors vivement réagi dénonçant, lors d’une conférence, le risque d’une “privatisation de la monnaie” et estimant que “notre souveraineté monétaire était en jeu”. Ces prises de position, partagées dans une grande partie des pays européens et du G7, ont ainsi amenées les banques centrales européennes et américaines à réagir et à lancer des expérimentations sur leurs propres MNBC.
- Troisième raison, et non des moindres, c’est l’intérêt en termes de politiques publiques des MNBC. L’utilisation de la technologie blockchain en ferait un instrument monétaire sûr, fiable et extrêmement simple pour effectuer les règlements interbancaires. Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, estimait en juillet 2022 que la MNBC de gros “pourrait être utilisée pour le règlement de titres émis sur une DLT, ce qui est essentiel pour éviter la fragmentation du marché et de la liquidité” et qu’elle constituait un atout essentiel pour optimiser les flux d’informations sur les marchés financiers. Les MNBC auraient aussi l’avantage de renforcer l’inclusion financière d’une partie de la population qui peuvent être encore éloignés des outils banquiers et financiers traditionnels, dans de nombreux États. C’est dans cette optique notamment que de nombreux pays du Sud, comme le Kenya, les Bahamas ou encore le Nigéria, ont fait le choix de lancer leurs propres MNBC.
Quel avenir pour les Monnaies Numériques de Banque Centrale ?
En mai 2022, la Banque des Règlements Internationaux (Bank of International Settlement) publiait les résultats de sa dernière enquête sur l’avancement des projets de MNBC dans le monde. La BRI remarque ainsi que 90% des banques centrales sur les 81 interrogées – représentant 94% du PIB mondial et 76% de la population – ce sont ainsi lancées dans des travaux sur les MNBC. Plus significatif encore, l’institution note qu’ “ un nombre croissant de banques centrales sont à un stade avancé de l’étude d’une MNBC. Par rapport à l’année dernière (2020), la part des banques centrales qui développent actuellement une MNBC ou de mener un projet pilote a presque doublé, passant de 14 % à 26 %. En outre, 62 % d’entre elles mènent des expériences ou des preuves de concept ”
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Parmi les projets les plus avancés, il semble important de mentionner ceux menés par l’Union européenne qui souhaite pouvoir la mettre en service pour 2027, les USA qui l’envisagent sérieusement après la chute de FTX ou encore la Chine qui a mis en service en 2022 son Yuan numérique. D’autres pays, comme les Bahamas ou le Nigéria, ont d’ores et déjà lancé leur propre MNBC et l’Inde. La Turquie ou encore le Vietnam poursuivent leurs travaux sur le sujet.
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La montée en puissance des MNBC apparaît désormais comme inéluctable. Jouant à plein de la concurrence entre initiatives privées et pouvoirs publics, l’industrie crypto a de ce point de vue de belles heures encore devant elle.