Longtemps chasse gardée de l’Occident, et des États-Unis en particulier, l’innovation technologique est aujourd’hui un secteur hautement concurrentiel à l’échelle mondiale. L’émergence de la Chine dans le domaine comme un acteur de premier plan, avec les désormais célèbres BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) faisant face aux NATU et aux GAFAM, a rebattu les cartes et relancé la course aux innovations.
Dans le domaine de la blockchain, la Chine a longtemps fait office d’atelier crypto du monde en concentrant jusqu’à plus de 65% du minage de cryptomonnaies mondial à son pic avant la reprise en main par les autorités publiques, loin devant ses concurrents américains, kazakhs ou russes.
L’interdiction totale des cryptomonnaies en 2021 par la Banque Populaire de Chine, dans la lignée du premier bannissement des transactions cryptos en Chine en 2017, a fait l’objet d’intenses spéculations de la part des observateurs qui ont vu dans cette décision une volonté plus large de la Chine de prise de contrôle sur l’ensemble de son écosystème numérique.
Dans un pays où l’environnement numérique est particulièrement surveillé, comme en témoigne les limitations d’accès des jeunes chinois aux jeux-vidéos ou la mise au pas de plusieurs grands dirigeants de la tech, l’interdiction du minage et la possession de cryptomonnaies pour des motifs de protection de l’environnement, du consommateur et de lutte contre la fraude interroge. Pour beaucoup, le timing de l’interdiction ne doit rien au hasard et les regards se tournent vers la Banque Populaire de Chine qui a franchi, au même moment, de nouvelles étapes dans le développement de son projet de Yuan numérique (e-CNY).
Yuan numérique : Un projet de longue date
Dans les rails depuis 2014, le projet de Yuan numérique porté par la Banque Populaire de Chine apparaît comme l’un des plus ambitieux et plus aboutis programmes de Monnaie Numérique de Banque Centrale (MNBC) au monde.
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Avançant à pas de géant, les autorités chinoises ont tour à tour multiplié les expérimentations et évolutions réglementaires en y associant certaines entreprises phares de la tech chinoise comme Huawei, Tencent et Alibaba. En 2020, une première étape est franchie avec la mise à disposition de la devise numérique dans 4 premières villes chinoises, puis 6 supplémentaires en 2021 (dont l’imposante région de Shanghaï).
Parallèlement à ces premiers déploiements du Yuan numérique, la Banque Populaire de Chine introduisait ainsi un amendement disposant que désormais “le Renminbi (nom officiel de la monnaie chinoise) a à la fois une forme physique et une forme numérique” consacrant dans la loi l’existence de la MNBC.
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Cette inscription dans la loi du caractère numérique de la monnaie chinoise a été suivie en 2022 de l’accélération de son déploiement dans plusieurs villes et régions chinoises à titre expérimental avec en ligne de mire, pour le gouvernement chinois, les jeux asiatiques et surtout les Jeux Olympiques d’hiver de Pékin (2022) où les seuls moyens de paiements autorisés étaient par Visa, sponsor officiel de l’événement, et le Yuan numérique. Fin 2022, une quinzaine de provinces chinoises représentant 360 millions de transactions pour un montant total de plus de 100 milliards de Renminbi (13,7 milliards d’euros) testaient ainsi la MNBC.
Quelles sont les perspectives pour le Yuan Numérique ?
Tout comme les autres MNBC, le Yuan numérique poursuit des objectifs clairement affichés par la Banque Populaire de Chine comme l’amélioration de l’inclusion financière de la population, le renforcement de la lutte contre la fraude et le blanchiment d’argent, le renforcement de la résilience des marchés financiers ou encore l’amélioration des transactions transfrontalières. Rien ne différant donc des buts poursuivis par les divers projets à travers le monde, en particulier en Occident.
Néanmoins, il faut mentionner qu’aux côtés de ces motifs traditionnels, il semble que la Chine souhaite s’appuyer sur le Yuan numérique pour concurrencer le dollar comme monnaie de référence au niveau planétaire. Constatant l’hégémonie du billet vert dans les transactions financières classiques, la Banque Populaire de Chine aurait l’ambition de s’appuyer sur le déploiement rapide et l’expansion de sa MNBC dans le monde pour renforcer son influence financière, imposer ses standards technologiques et développer des circuits alternatifs à ceux de la finance actuelle.
La question des standards est ainsi particulièrement importante puisque dans cet écosystème naissant, les acteurs les plus diligents seront en mesure d’imposer par la force des choses, leurs propres modèles économiques, spécifications techniques et réglementations aux autres. Les expérimentations sur les paiements transfrontaliers réalisées avec les pays de l’ASEAN, ou au sein du projet mBridge (BRI, Chine, Hong Kong, EAU, Thaïlande) démontrent la volonté chinoise d’imposer leur devise numérique comme un acteur incontournable des futurs marchés financiers.
Un Occident trop passif pour le Yuan Numérique ?
Face à cette proactivité chinoise dans le domaine, les États-Unis et l’Europe restent aujourd’hui étonnamment passifs. Les expérimentations lancées de part et d’autre de l’Atlantique sur l’Euro numérique ou le Dollar numérique apparaissent ainsi pusillanimes au regard des ambitions affichées par Pékin. Ce retard accumulé en Occident sur la Chine ou l’Inde commence à alerter une partie des décideurs publics qui s’inquiètent d’une possible remise en cause de la suprématie financière américaine et appellent de leurs vœux un développement plus ambitieux de la MNBC états-unienne.
La marche en avant des MNBC dans le monde étant désormais inéluctable, il appartient aux pouvoirs publics, notamment en Occident, de prendre la mesure du tournant décisif que prend l’économie mondiale et de l’impact qu’auront ces futures devises numériques sur celle-ci. L’avance prise par la Chine dans le domaine n’est pas irrémédiable et l’Europe et les États-Unis ont encore de belles cartes à jouer pour que demain, le Yuan numérique ne soit pas la seule référence des marchés mondiaux.