Depuis 2021, le Bitcoin est une des monnaies officielles du Salvador. Expérience unique, il convient d’analyser la situation actuelle pour savoir quels ont été les enseignements et les problèmes identifiés.
2001 – 2019 : Un pays sur une pente descendante
En 2001, le Salvador adopte une nouvelle monnaie : le dollar américain. L’objectif était de réduire l’inflation qui plombait l’économie du pays. L’abandon du colon Salvadorien, hautement instable, permet au pays un taux d’augmentation des prix moyen de 2.03% pendant 20 ans. C’est le plus faible d’Amérique Latine. Le pays s’est néanmoins rendu hautement dépendant des États-Unis, avec une balance commerciale structurellement négative. Chaque année, 5.2 milliards d’USD sortent de l’économie Salvadorienne.
Avec un taux d’homicides par habitants les plus haut de la planète, le nouveau président Bukele annonça une série de mesures drastiques pour relever le pays… Dont l’adoption de Bitcoin comme monnaie officielle.
Avec une double monnaie, le président avait plusieurs objectifs :
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L’économie des frais bancaires pour les exilés fiscaux
Lorsque les exilés souhaitaient envoyer de l’argent à leurs familles, les frais SWIFT étaient excessivement élevés (plusieurs centaines d’euros pour une simple transaction). Bitcoin, avec des transactions à 7 dollars maximum, réglait ce problème.
Pourquoi est-ce important ? Ces frais représentent 6 milliards de dollars, l’équivalent de 23% du PIB du Salvador.
Finalement, moins de 2% des envois par les émigrés passent aujourd’hui par les cryptomonnaies.
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L’amélioration du risque pays
Sur les marchés, le Salvador était vu comme un très, très mauvais élève. Un tel coup de communication attirerait les feux des projecteurs.
Avec un risque pays passé de 35% à 25%, le pays est effectivement considéré comme plus sûr. Cette note peut être expliquée par la baisse de la criminalité et la nouvelle stabilité du pays, toute relative. Moody’s a d’ailleurs récemment modifié la note du pays.
Juin 2021 : une arrivée bien reçue
Mais comment le Salvador a-t-il lancé sa nouvelle monnaie ? D’abord, avec une adoption simplifiée : le gouvernement a lancé le Chivo wallet, possédant un design simple d’utilisation (surtout à l’époque, ou l’UX des interfaces blockchain était souvent contre-intuitive).
Ensuite, une mise en place d’incentives a été annoncée : tout Salvadorien téléchargeant le wallet officiel du gouvernement recevrait la somme de 30 dollars. Représentant 10% du salaire moyen du pays, ce cadeau a incité la quasi-totalité de la population télécharger Chivo.
Enfin, 2021 était l’année du Bullrun. Passant de 32 000 à 64 400 dollars, le Bitcoin a enrichit les citoyens ayant placé le (peu) d’épargne possédé. Le pays a donc été globalement satisfait de cette nouvelle monnaie, en pleine période favorable.
Grâce à des mesures d’adoption et un timing favorable, les Salvadoriens ont vu l’arrivée de Bitcoin d’un bon œil.
2022-2023 : Les critiques post-bullrun
Lorsqu’on se promène dans les rues du Salvador aujourd’hui, on constate que bien des commerces n’acceptent plus le bitcoin. Avec des frais toujours élevés (entre 5 et 7 dollars) et une valeur qui a chuté, les transactions quotidiennes n’ont que peu d’intérêt sans le Lightning network.
Avec un peuple trop pauvre pour pouvoir épargner, mais également pas assez habitué à ces nouvelles technologies, le frein à l’adoption fut beaucoup trop fort.
Des relations tumultueuses avec les institutions internationales
Très fréquemment, Bukele s’est heurté aux critiques du fonds monétaire international. Et pour cause : en 2019, la proposition est radicale. Le FMI a souvent recommandé au pays d’abandonner le Bitcoin, sans succès.
Alors que les spécialistes estimaient que le Bitcoin n’était pas constitutionnel, Bukele a proposé de réécrire la constitution. Cette gouvernance autoritaire nuit aux négociations d’un prêt d’1.3 milliards de dollars demandés au FMI, qui n’a toujours pas été validé.
En ce début d’année enfin, les Volcano bonds furent dénoncés car impossible à financer. Avec un milliard d’émission annoncé, le coup de communication a intérêt à être bien huilé. En effet, malgré le risque pays à 25%, il est impossible pour le Salvador de revenir sur les marchés conventionnels sans tomber à 5%.
Le gouvernement persiste
Malgré les critiques, le gouvernement ne ralentit pas la fréquence de ses annonces : fin février, le lancement d’un volcano bond, « bon-volcan » fut voté au parlement. Cette dette publique a pour but le financement de Bitcoin city, une ville alimentée par le volcan Conchagua. L’énergie géothermique qui servira à alimenter la ville en électricité, notamment pour des fermes de minages, laisse présager une ville futuriste. Un milliard de Treasury Bonds devraient être rapidement émis.
De plus, l’intégralité des impôts pour les Fintechs vont bientôt être supprimées. La loi « innovation and technology manufacturing incentives act », annoncée en anglais sur Twitter, en dit long sur les objectifs poursuivis. Précisément : on parle de la suppression des impôts sur les revenus, la propriété, les plus-values et les droits d’importation.
2024 : à quoi l’avenir pourrait ressembler
Les freins bloquant l’adoption du Bitcoin au Salvador sont donc les suivants :
- Les frais de gas, bien trop élevés : les commerçants n’ont pas intérêt à l’utiliser (sans le Lightning network),
- Les pressions internationales: les annonces des grandes institutions sont très suivies par les investisseurs. Une critique officielle de la part du FMI, c’est potentiellement moins d’IDE. Il faut nuancer ces propos pour les investisseurs cryptos, qui aiment néanmoins défier certains grands acteurs de la finance.
La politique du Bitcoin est aujourd’hui considérée comme un pari raté car selon l’enquête de l’Université Centroaméricaine (UCA). Le Bitcoin « ne répond pas à un besoin réel de la population ».
Une dernière observation plus positive: grâce au Bitcoin, le Salvador a vu son tourisme augmenter. Des Bitcoiners viennent depuis des pays comme le Brésil passer des vacances et tester les transactions. Le Salvador s’est au moins fait une notoriété dans notre communauté.