Face à une innovation, quelle que soit sa nature, les réactions des opinions publiques restent souvent mitigées. En matière de technologie tout particulièrement, il est rare de rencontrer un unanimisme enthousiaste sur de nouveaux développements et la méfiance voire l’hostilité sont souvent la norme.
S’il est évidemment sain de maintenir une forme de scepticisme face aux progrès scientifiques et aux innovations technologiques, il apparaît néanmoins nécessaire de rester rationnel et d’évaluer la technologie à l’aune de ses véritables propriétés et des critiques légitimes qui peuvent émerger.
La technologie blockchain, et le lot d’innovations qu’elle charrie, ne fait pas exception à ce constat et a fait l’objet plus qu’à son tour d’une défiance souvent infondée en particulier sur l’épineuse question du respect de la vie privée.
L’origine des critiques de la blockchain
Louée comme une qualité essentielle de la blockchain aux côtés de sa rapidité, de sa désintermédiation, de son immuabilité et de son caractère partagé, la transparence inhérente à la technologie blockchain n’a pas manqué de soulever interrogations et doutes de la part d’institutions et d’associations défendant le droit à la vie privée et la protection des données personnelles.
Échaudés par des affaires de violation des droits des consommateurs par certains grands acteurs technologiques – Google et Facebook sanctionnés en 2022 par la CNIL, puis Apple en 2023 – une forme de défiance s’est légitimement installée chez ces acteurs devenus intraitables sur ces atteintes manifestes à la vie privée.
Dans leur viseur, l’hypothèse d’un dévoiement de la technologie blockchain et de ses qualités de transparence afin d’organiser une forme de surveillance de masse. L’exemple le plus marquant reste à ce titre l’utilisation de la technologie blockchain dans le monde cryptos. La capacité de chacun de pouvoir tracer les flux de devises numériques d’un portefeuille à l’autre, qui est lui pseudonymisé, fait redouter à certains la possibilité d’être identifié par des acteurs dotés de moyens de suivi conséquents (comme des chercheurs ont pu être en mesure de le faire sur les flux de bitcoin entre 2009 et 2011).
Plus récemment encore, ces critiques se sont étendues de la dénonciation d’acteurs privés à celle des pouvoirs publics qui, en termes de moyens, seraient les plus à même d’exploiter ce type de technologie à leur avantage.
Le danger des Monnaies Numériques de Banque Centrale (MNBC) ?
Une crainte récurrente vise ainsi certaines applications de la blockchain comme les MNBC qui, en se substituant à l’argent liquide, mettrait fin à toute forme d’anonymat dans les achats.
Ces critiques se sont notamment cristallisées au moment de l’annonce par la Chine du lancement d’expérimentations sur le Yuan numérique élevé, en octobre 2020, au même rang que la monnaie fiduciaire.
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Nombre d’observateurs considèrent ainsi que la consécration de la MNBC chinoise constitue une menace pour la vie privée de ses futurs utilisateurs qui verraient alors l’ensemble de leurs transactions tracées par la Banque Populaire de Chine.
Le parallèle avec les projets lancés respectivement par l’Union européenne et les États-Unis n’a pas manqué de susciter des craintes, voire des manifestations comme aux Pays-Bas en novembre 2022, qui se doivent d’être tempérées dans la mesure où les technologies expérimentées et les cadres réglementaires en vigueur en Occident et en Chine sont loin d’être comparables.
La blockchain : une technologie injustement décriée ?
Un des grands paradoxes de la technologie blockchain est probablement sa capacité d’attraction de critiques diamétralement opposées. Ainsi, l’un des principaux reproches qui lui fut adressés à ses débuts fut son utilisation dans l’environnement cryptos et la supposée impunité qu’elle conférait aux délinquants, criminels voire aux groupes terroristes (ce que démentent nombres d’études comme celles de Chainalysis ou de CypherTrace qui estiment les activités illicites à moins de 0.15% du total des transactions).
À rebours, c’est désormais la traçabilité et la transparence que cette dernière permet qui sont désormais sur la sellette et font l’objet de contestations de groupes de pressions et de l’inquiétude d’une partie de l’opinion.
Ce qu’il faut comprendre de ces retournements successifs de l’opinion, c’est que la technologie blockchain n’est intrinsèquement ni un outil de surveillance massif des citoyens, ni une nébuleuse opaque dissimulant les activités les moins avouables mais bien un outil qui se plie aux usages qui lui sont fixés.
Les dérives observées ci-et-là sur certaines applications de la technologie blockchain ne peuvent ainsi être imputées à cette dernière mais bien aux acteurs qui la mettent à contribution dans cette direction. C’est pour se prémunir de telles dérives qu’il est nécessaire que les experts et le public restent informés et vigilants sur les utilisations faites de la technologie blockchain, comme ils doivent l’être pour toute avancée technique nouvelle, pour pouvoir si nécessaire exiger la mise en place de cadres réglementaires protecteurs et appropriés.
Si ces conditions venaient à être réunies, notamment par la diffusion de connaissances et la vulgarisation de ses enjeux par des vecteurs comme nous le faisons ici, la technologie blockchain pourrait même, à rebours des craintes soulevées, se révéler un atout de taille dans la protection du droit à la vie privée et des données personnelles.
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