Sujet de moqueries réciproques et de l’attention des commentateurs, les différences de mentalité entre les Européens continentaux et leurs voisins anglo-saxons ont toujours fait gloser de par les importantes différences observées entre deux mondes pourtant si proches. Nourriture, culture, politique, etc. ; on ne compte plus les domaines où nos partenaires d’Outre-Manche semblent cultiver un certain éclectisme.
La règle semblant être d’airain, l’approche des 2 blocs réglementaires vis-à-vis de la technologie blockchain et en particulier des crypto-actifs apparaît comme bien différente et résulte de la vision que chaque acteur se fait du rôle de la réglementation et des objectifs qu’ils assignent à celle-ci.
Il s’agit donc dans cet article de vous brosser un rapide portrait des deux visions animant l’Union européenne et le Royaume-Uni sur la question de l’encadrement des crypto-actifs sans entrer – pour le moment – dans le cœur des réglementations advenues et à venir.
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L’approche européenne : la réglementation des crypto-actifs comme outil de protection des consommateurs
La tradition juridique continentale – héritée du droit romain et largement imprégnée d’une vision française de la place de la norme – a souvent porté la codification et la création de normes comme l’alpha et l’oméga de son fonctionnement. Cette attention particulière aux normes s’explique notamment par la priorité donnée en Europe à la protection des consommateurs qui – selon les autorités publiques européennes – doit se matérialiser par un corpus de textes destinés à assurer sa sécurité, sa santé et la protection de ses intérêts économiques.
Ce choix de la réglementation préalable explique pourquoi une certaine méfiance peut être retenue par les législateurs européens sur des sujets innovants comme la blockchain et les crypto-actifs. En témoigne cette citation de Stefan Berger – rapporteur du texte MiCA (Market in Crypto-Asset) pour le Parlement européen – à l’issue de l’accord obtenu entre les institutions européennes sur les crypto-actifs : « Aujourd’hui, nous mettons de l’ordre dans le Far West des crypto-actifs et établissons des règles claires pour un marché harmonisé. ». Cette désignation du marché des crypto-actifs comme un « Far West » réglementaire dénote bien de la vision circonspecte d’une majorité des pouvoirs publics à l’égard de ce type d’innovation et les exemples pourraient être multipliés par dizaines sur un grand nombre d’innovation (Régime Pilote pour les actifs tokenisés, règlement IA, Digital Service & Market Acts, Euro numérique, etc.).
De nombreux acteurs du secteur de la blockchain se sont ainsi alarmés en mars dernier lorsque le Parlement européen – par l’intermédiaire d’un amendement qui fut écarté par la suite – a envisagé de bannir les crypto-monnaies basées sur la preuve de travail (proof of work) autrement dit le minage comme le Bitcoin ou l’Ethereum.
Néanmoins, s’il est facile de constater la frilosité des Européens sur les sujets liés à la blockchain – et en particulier quand celle-ci entre en interaction avec le secteur financier – il faut souligner l’effort important porté par les pouvoirs publics européens pour structurer le secteur des crypto-actifs
L’approche britannique : la réglementation des crypto-actifs comme relai de l’innovation
A contrario de la tradition juridique continentale, les pays de Common Law (désigne l’ensemble des règles de droit non écrit, sanctionnées par la coutume et la jurisprudence constante des tribunaux, qui constituent la base du droit dans les pays anglophones) comme le Royaume-Uni n’assignent pas à la réglementation le même rôle que leurs voisins. Dans l’arbitrage entre innovation et protection du consommateur, les pouvoirs publics tranchent le plus souvent en faveur de la première option même si cela implique de porter une réglementation plus « lâche », à laisser aux tribunaux la liberté d’établir des précédents ou à faire sauter un certain nombre de verrous réglementaires pour soutenir le développement du secteur.
Le gouvernement britannique indiquait ainsi, en avril dernier, sa volonté de faire du Royaume-Uni « un centre mondial de technologie des crypto-monnaies ». Moins frileux que l’Europe sur ces sujets, les responsables politiques anglais déclaraient vouloir tout faire pour que les entreprises spécialisées dans les crypto-actifs puissent investir, innover et se développer au Royaume-Uni. Le ministre des finances de l’époque – Rishi Sunak – confirmait alors que « notre plan vise à garantir que le secteur britannique des services financiers soit toujours à la pointe de la technologie et de l’innovation ».
La volonté britannique d’être à la pointe de l’innovation l’amène ainsi à professer une flexibilité réglementaire et à une concertation importante avec l’industrie. Les multiples applications de la technologie blockchain – dans le domaine des services financiers notamment – sont vues outre-Manche comme autant de potentiels relais de croissances et, moins qu’en Europe, comme une menace pour la sécurité des consommateurs.
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Les deux approches développées par ces deux grands blocs réglementaires que sont le Royaume-Uni et l’Union européenne au sujet de l’encadrement des crypto-actifs ont bien évidemment chacun leurs avantages et leurs défauts et – selon votre sensibilité au risque, à votre hiérarchisation personnelle des enjeux politiques ou encore vos investissements passés ou futurs – vous serez amenés à en préférer une à l’autre. Néanmoins, il faut également signaler que malgré les différences constatées dans l’approche, une constante persiste qui est celle de la croyance de chacun des acteurs dans la nécessité d’un encadrement du secteur. Ce mouvement général de reprise en main des États sur la technologie ne se limite d’ailleurs pas à l’Europe (au sens géographique cette fois), puisque partout dans le monde les initiatives se multiplient afin de contrôler ces nouvelles formes d’actifs – propulsés par la technologie blockchain – et dont la croissance ne semble pas prête de décliner.