Pour comprendre les raisons de la création du Bitcoin, il faut retracer l’histoire des Cypherpunks et de leurs combats contre le gouvernement américain. Focus sur les Cypherpunks, ceux qui écrivent du code pour défendre l’anonymat.
Les Cypherpunks et leurs célèbres créations
Les Cypherpunks prônent la confidentialité et la liberté d’expression sur internet. Le terme a été prononcé la première fois par Jude Milhon : composé de “Cypher” (encryption) et “punk” (rebelle), il peut se traduire par “les encrypteurs rebelles”.
Ils sont connus pour avoir créé :
- Wikileaks en 2006, site de liberté de presse,
- Le chiffrement PGP (Pretty Good Privacy) dans les années 90, qui permettait d’envoyer des mails anonymes,
- Bitcoin en 2009, mais aussi quelques autres tests de cryptomonnaies comme Hashcash.
Ils sont à ne pas confondre avec les Cyberpunks, qui est un sous-genre de dystopie dans laquelle la technologie a une place centrale dans l’histoire.
Parmi les membres célèbres, on peut nommer :
- Julian Assange, fondateur de Wikileaks,
- Satoshi Nakamoto, créateur de Bitcoin,
- Hal Finney, premier homme à avoir reçu de la crypto-monnaie et suspecté d’être Satoshi (bien que la liste des candidats potentiels soit longue),
- Nick Szabo, Adam Back et Wei Dai sont moins connus, mais ont respectivement fondé Bitgold, Hash Cash et B-money. Leurs protocoles ont inspiré Satoshi pour la création de Bitcoin.
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La genèse des Cypherpunks
Le mouvement Cypherpunk prend racine dans les années 90 avec l’arrivée de l’ordinateur grand public. Internet a été créé pour être fonctionnel, intuitif, mais pas pour être sécurisé. Or à cette époque, tout allait devenir traçable (virements bancaires, messages envoyés en privé…). Pire : une possibilité de contrôle de l’information, comme Georges Orwell l’avait prédit dans 1984, s’apprêtait à devenir réalité.
Le contrôle d’internet a évidemment ses avantages (lutte contre le terrorisme, rapidité d’échanges de devises) et nous ne parlerons pas politique ici. Le fait est que la plupart des développeurs, qui voient ces changements arriver, sont contre. Une discipline peu connue, la cryptographie, était alors sur le point d’altérer le pouvoir des gouvernants.
En 1977, une équipe de cryptographes mettait en place un incroyable système permettant d’encrypter des données, le chiffrement RSA. Il était si puissant qu’il avait le potentiel de rendre l’espionnage d’un gouvernement impossible. Réaction de la National Security Agency : rendre public ce rapport sera considéré comme un crime fédéral.
1992 : A Cypherpunk Manifesto
15 ans après, cette technologie de chiffrement sera reprise dans la baie de San-Francisco.
Un soir, Eric Hugues décide d’inviter un groupe en phase avec sa vision de la liberté. Selon lui, le cyber est l’occasion rêvée pour nos gouvernants de capter les données des citoyens et transformer le monde en 1984 bis.
La plupart des invités sont très cultivés et n’ont rien à voir avec des punks : on parle d’une des meilleures universités du monde. Ces mathématiciens, ingénieurs et économistes ont tous connaissance de l’école autrichienne de Friedrich Hayek. Il y parle de l’émergence d’un ordre spontané utopique grâce à internet, c’est donc l’objectif qu’ils se donnent.
Un texte qui fera date est alors prononcé : A cypherpunk manifesto, écrit par Timothy C May.
« Nous savons que le code est indestructible et qu’un système largement décentralisé ne peut pas être arrêté. »
Pour joindre les autres activistes en dehors de Bay Area, une liste de mails fut créée. Elle dépassa les 2000 abonnés en 1997.
Le mouvement Cypherpunk était né : son but sera de défendre la liberté et d’empêcher l’avènement d’un État Orwellien.
Années 90 : Les cryptowars des Cypherpunks
Les cryptowars des Cypherpunks sont peu connus du grand public. Pourtant, de nombreux débats sur la cryptographie défraient la chronique à l’époque. Le Clipper Chip est l’un d’eux.
Dans les années 90, les gouvernements américains et ceux de leurs alliés ont ainsi tout fait pour empêcher la cryptographie d’émerger. Elle permet l’encryption des données. Ils cherchent alors à présenter le chiffrement comme un outil à double tranchant :
- Il permet la protection des messages des individus.
- Il est utilisable par les terroristes pour dissimuler leurs activités. Cet argument est toujours repris pour des cryptomonnaies très connues comme Monero.
Une solution proposée par l’administration Clinton est alors le Clipper Chip : une micropuce chiffrant les protocoles cryptographiques, SAUF pour les forces de l’ordre qui possèderaient une clé. C’est ce qu’on appelle une porte dérobée (ou Backdoor).
Avocats, technologues et cryptographes vont se battre pour l’empêcher d’exister. Un informaticien du nom de Matt Blaze découvre alors une vulnérabilité dans les puces. Il était possible de la déchiffrer sans en avoir les autorisations requises : l’idée fut logiquement abandonnée.
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Années 2000 : des tentatives de monnaies numériques infructueuses par les Cypherpunks
Durant l’émergence d’internet et de sa massification, les Cypherpunks disparaissent peu à peu. Le web est vu comme un élément du quotidien, une extension des systèmes sociaux existants. Il n’est plus un moyen de contourner les contraintes économiques et sociales des gouvernements.
Des créations de monnaies numériques voient tout de même le jour, mais toutes avec des défauts :
– Hashcash, créé par Adam Back, un des premiers systèmes de Proof-of-Work à grande échelle,
– Bitgold, développé par Nick Szabo, une monnaie décentralisée infalsifiable, bien trop vulnérable aux attaques,
– Rpow, d’Hal Finney, un token révolutionnaire également, mais qui échouera, car trop centralisé.
2008 : Crise financière et publication du Bitcoin WP par les Cypherpunks
Les cartes seront rebattues durant la chute de Lehman Brothers. Lors de la crise financière, la défiance des citoyens envers les institutions devient considérable. Elle l’est encore plus chez les Cypherpunks.
Des millions d’américains perdent leurs fonds lors de la chute de Lehman, qui étaient à l’époque tous contrôlés par une entité extérieure : la banque commerciale. L’expression « not your keys, not your coins » était de mise, puisque c’est Georges Bush qui décide de ne pas sauver les comptes (l’État américain avait totalement les moyens de le faire).
Satoshi Nakamoto se servira alors de la blockchain pour créer un système de pair à pair (Peer to Peer, le titre du Bitcoin White Paper) pour “effectuer des paiements en ligne directement d’un tiers à un autre”. Ici, plus besoin d’avoir recours à une banque pour s’échanger des fonds. Hal Finney, grand cryptographe, devient alors le premier homme à recevoir du Bitcoin. Bien d’autres Cypherpunks se mettront alors à l’utiliser. La suite est désormais bien connue.
2023 : Cryptowars 2.0 ? Le combat des Cypherpunks continue
Les Cypherpunks ont beau s’être fondus dans la masse, leur combat politique est à présent partout.
Les débats des années 90 sur la possibilité de backdoors gouvernementales sont d’ailleurs toujours en cours. Notez qu’il est impossible de créer ce type d’accès sans compromettre la sécurité d’un système : créer une backdoor, c’est donner accès à nos données pour n’importe quel criminel suffisamment expérimenté. À l’heure où la majorité de nos datas, et désormais nos cryptomonnaies transitent par internet, créer des trous de sécurité n’est tout simplement pas envisageable.
Le dernier exemple de backdoor en date est celui de FTX : une porte dérobée créée par SBF lui-même a permis une fuite de capitaux de 65 milliards de dollars. Cet incident a provoqué un tollé général.
Pour conclure, les Cypherpunks ont mené des réflexions sur le futur d’internet, ses conséquences sur notre libre arbitre, et ont agi contre l’arrivée d’un État Orwellien. Premiers utilisateurs du Bitcoin, leurs travaux sont salués par l’opinion populaire et influencent aujourd’hui la pop culture.
Bitcoin n’est pas seulement l’invention de Satoshi. Il est le point culminant de 20 ans de recherches au sein de la communauté Cypherpunk, qui symbolisent nos inquiétudes quant aux risques d’internet : contrôle étatique et perte de liberté.